Alors que le hashtag #Agriculteursencolère explose avec pas moins de 3 millions de tweets, le hashtag de la FNSEA #OnmarcheSurlatête culmine pénible à 18 000 tweets. Comment l’expliquer ? Et au-delà de ce cas très précis, comment les lobbies mobilisent aujourd’hui les hashtags ?
17 ans de hashtag
Il y a 17 ans nait le hashtag. Au départ, c’était un moyen de classer son contenu ou de participer à des conversations sur des thématiques bien particulières qu’on voulait suivre. Petit à petit, les pratiques des tendances émergentes de Twitter. Contrairement à une idée conçue, les trendings topics de Twitter ne reflète pas les sujets les plus discutés sur la plateforme, mais ceux dont la volumétrie à un instant T est en totale explosion par rapport à d’habitude.
Le hashtag étant des mots-clés qui n’existent pas dans les échanges habituels, c’est devenu le moyen le plus rapide pour arriver en trending topic car on partait de 0. Il fallait donc seulement 100 personnes avec une belle audience et 500 à 2000 tweets pour être en TT de Twitter. C’est pour cette raison que les personnes réalisant des campagnes d’affaires publiques ou de marketing se sont rapidement approprié les hashtags et ont réfléchi à leurs hashtags de campagne.
Rapidement aussi, des petits malins ont trouvé le moyen de devenir trendings topics à eux seuls. C’était le cas Il avait du contraint le gouvernement français à contredire un hashtag de fermeture des écoles.
Les cas de #JesuisCharlie ou #MeToo sont venus encore montrer cet état de fait de la puissance du hashtag pour percuter l’espace public. Des difficultés sont aussi apparues dans le fait qu’un hashtag une fois lancé peut être détourné par les utilisateurs.
Ce fut le cas du hashtag StopDjihadisme lancé par l’état français pour contrecarrer la propagande de l’état islamique qui avait été bombardé de propagande venant de personnes de l’état islamique.
En effet, un hashtag est public et peut être détourné. C’est donc à la fois un inconvenient (on ne maitrise pas ce qui y circule), mais un avantage puisque les personnes qui ne sont pas contentes du hashtag et qui le manifestent en l’utilisant contribuent à maintenir le hashtag en trending topic. Ce fut ainsi parfaitement montré dans l’analyse du cas #IslamHorsDeurope, un hashtag propulsé par l’extrême droite après chaque attentat, dont le hashtag était raciste, mais dont les mentions qui y figuraient étaient en énorme majorité positives.
J’avais explicité ce phénomène en développant ma théorie du paradoxe réactionnel, soit le faire de réagir à quelque chose parce qu’on n’aime pas ce quelque chose, alors que ce faisant, on en fait la promotion.
Mais pourquoi est-ce si dur de propulser son hashtag de mobilisation ?
Bref, une fois la parenthèse fermée sur ce qu’est un hashtag et comment fonctionne le mécanisme autour de celui-ci, cela ne nous aide pas à dire pourquoi le hashtag de la FNSEA performe moins que #AgriculteursEnColère. Elle tient à l’organisation militante qui est devenu une industrie de masse.
Lors de la candidature présidentielle de Ségolène Royal, le PS crée un nouveau dispositif social media : la cellule de riposte. Cela consiste à rassembler les militants de manière physique, de leur partager les éléments de langage commun et de les faire tweeter conjointement durant un débat pour une logique de masse. Petit à petit, le concept de cellule de riposte s’étend jusqu’à devenir des ensembles extrêmement organisés en 2017.
Ainsi, LFI organise des recrutements sur les forums de jeuxvideo.com qu’ils centralisent sur des canaux Discord. Cela leur permet de déplacer de larges foules numériques sur les espaces, notamment les pages Facebook de media et de faire exploser les compteurs. A cette époque où Benoit Hamon est à égalité avec Jean-Luc Mélenchon, les social media manager des médias mettent en avant ce dernier sur Facebook car ils savent que les indicateurs seront excellents.
Dans le même temps, LR a développé une application où les contenus sont centralisés et diffusés sous forme de timeline aux militants. Enfin, le RN s’est également constitué une solide force de frappe et de nombreuses techniques de riposte que j’avais résumées sur France Culture.
Bref, aujourd’hui, tous les militants de parti sont rassemblés, organisés et savent se déployer très facilement. Cette structuration interne de mobilisation et de manifestation sur les réseaux sociaux n’a jamais été mené dans les fédérations professionnelles qui préfèrent encore les anciennes formes de mobilisation. Cela explique en grande partie l’énorme différence entre le hashtag de la FNSEA et le hashtag #AgriculteursEnColère où toutes les forces numériques du RN et de LFI sont mobilisées.
Comment les lobbies utilisent les hashtags ?
D’ailleurs, comment les lobbies mobilisent aujourd’hui les hashtags sur X ? Pour le savoir, j’ai pris un an de tweets de toutes les fédérations, réseaux, syndicats et autres que contient Follaw.(C’est aujourd’hui 1250 comptes) Nous avons ensuite analysé le top 400 des hashtags les plus utilisés sur la plateforme :
Que nous revèle cette étude du top 400 ? On dénombre 4 types de hashtags mobilisés par les associations et lobbies :
- 58 % sont des hashtags thématiques c’est à dire des hashtags qui permettent de dire que le tweet / X parle d’une thématique donnée. Le premier sujet de thématique abordé cette année par les lobbies en hashtag est l’intelligence artificielle. Suit l’Europe, la santé et l’ESS.
- 15 % sont des hashtags de campagne à propos d’un plaidoyer ou un axe de message. NOH8, des hashtags de compétition sportives pour les fédérations et EndFossilsFuels / RestoreNature sont les principaux utilisés. Les militants écologistes ayant une vraie culture du hashtag pour les campagnes. FRAGTW est également un très bon exemple de hashtag de mobilisation dans un secteur bien précis.
- 15% sont des hashtags de participation ou d’organisation d’un événément. Les 2 premiers hashtags les plus tweetés sont des événéments. (Cop28, SIA2023) Le IWD complète le podium en 20 ème place générale. Sinon ce sont les élections européenne et le 8 mars qui sont importants.
- 11 % sont des hashtags sur des rebonds sur l’actualité. Gaza est bien entendu l’événement de l’année et occupe une place importante suivi de l’Ukraine et du Eu Green Deal.
L’environnement est d’ailleurs le thème de hashtag le plus mobilisé par les lobbies (principalement les ONG) suivis de la santé et puis les énergies.
Au final, on en retient surtout :
- Un usage sage et dépassé de hashtags relativement lambda et générique qui ne sont aujourd’hui plus à la base de la consommation de messages. (Plus personne ne suit un hashtag thématique, et certainement pas ceux utilisés comme #Agriculture ou #Energie)
- Une faiblesse d’utilisation des hashtags d’actualité ou trending topic qui eux, au contraire des hashtags lambda et générique sont consultés via les tendances émergentes. Ces hashtags d’actualité sont bien trop génériques.
- Une non utilisation (en dehors de FRAGTW) de ses forces militantes qui ne sont pas regroupées, pas nourries et trop disparates pour peser. Le cas des fédérations est emblématique de cet état de fait. Sur un an, on n’a decelé aucun cas de coalition sur les réseaux sociaux déployé au même moment sur un axe bien précis. Les coalitions existent dans les communiqués de presse, mais pas sur les réseaux sociaux.
Les lobbies ont donc une longueur de retard sur les organisations militantes. Car, si le bruit pour le bruit ne sert à rien, reste que celui-ci arrive toujours plus rapidement aux oreilles des politiques.