Vagues de chaleur, sécheresse, incendies de forêt… L’été 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe.
La multiplication des évènements climatiques extrêmes a eu des conséquences désastreuses sur la biodiversité, la société et de nombreux secteurs d’activité. En France, les premiers signes sont apparus dès le printemps avec plusieurs épisodes de sécheresse anticipés, aboutissant à des restrictions de l’usage de l’eau au mois d’août.
Nous nous sommes interrogés sur les mécanismes d’appropriation de cette problématique par les groupes politiques à l’Assemblée nationale et les lobbies agricoles. Quels sont les lieux et moyens mobilisés par les députés ? (questions au gouvernement, réseaux sociaux, médias) Quelles sont les voies les plus efficaces pour les lobbies pour se faire entendre à l’Assemblée ?
Un été en trois temps
La problématique de la sécheresse en France a connu trois temporalités :
- Un début d’été rythmé par des discussions journalières sur le sujet, sans grand pic d’activité.
- Une culmination de la situation de sécheresse au mois d’août, avec les annonces des restrictions limitant l’usage de l’eau notamment pour l’irrigation agricole.
- Retombée médiatique à la fin du mois d’août, en même temps que la baisse progressive des températures.
A l’Assemblée nationale : multipolarisation du débat
Sur les enjeux globaux de la sécheresse – au-delà des problématiques agricoles – l’espace du débat public se segmentait de part et d’autre de l’échiquier politique et avec des stratégies de mobilisation différentes :
- Le pôle de droite, via Les Républicains, a privilégié une stratégie traditionnelle en constituant le groupe le plus actif (22% de l’activité parlementaire)
- Le pôle de gauche s’est mobilisé dans la sphère médiatique, la NUPES prenant essentiellement la parole sur Twitter (44% des mentions)
Après l’analyse des questions au gouvernement sur uniquement les aspects agricoles de la sécheresse, nous découvrons un troisième pôle avec une troisième stratégie. Le pôle Rassemblement National mobilise fortement les questions parlementaires sur les enjeux agricoles (56%) alors qu’il est totalement absent des réseaux sociaux et beaucoup moins actif dans l’activité parlementaire générale sur la sécheresse (17%).
Dans la société civile, un prisme régional et agricole
Feux de forêt en Gironde ou arrêt de la production de fromage dans le Cantal : toutes ces problématiques connaissent un caractère éminemment local ce qui explique pourquoi les médias régionaux sont les acteurs les plus actifs sur ces sujets.
Après les acteurs médiatiques, ce sont les parties prenantes agricoles qui ont le plus pris la parole. Dépendante des ressources en eau, l’agriculture est de facto plus impactée par la hausse des températures et l’assèchement des sols. La sécheresse a donc plutôt eu tendance à être préemptée par le secteur (agriculteurs, fédérations, syndicats, médias spécialisés) que par des acteurs institutionnels, politiques ou associatifs.
Des parties prenantes agricoles influentes
Pour évaluer l’impact du discours des parties prenantes agricoles, nous avons reconstitué le newsfeed Twitter des députés.
La cause agricole a bénéficié d’une large couverture médiatique, que ce soit dans la presse ou sur Twitter. Les agriculteurs et leurs représentants d’intérêts ont également su faire preuve d’un certain potentiel d’influence auprès des députés.
Environ 40% des députés ont été touchés par les revendications agricoles. Une grande majorité de ceux-ci proviennent du groupe Renaissance, principalement du fait qu’ils sont élus de régions agricoles et qu’ils suivent beaucoup de parties prenantes agricoles.
Par ailleurs, les représentants des intérêts agricoles (syndicats professionnels et fédérations) sont les acteurs agricoles ayant le plus d’impact à l’Assemblée. En effet, la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, la Confédération Paysanne et leurs représentants sont ceux qui ont touché le plus de députés dans le cadre de leurs prises de position sur la sécheresse. Nous avons aussi observé que même des comptes d’agriculteurs particuliers bénéficient d’une certaine visibilité auprès des élus de l’Assemblée (environ 2% de taux de couverture*).
En conclusion, cette analyse nous montre que :
- Les groupes politiques utilisent différents lieux de débats pour parler du sujet de la sécheresse (la NUPES dans les médias, les Républicains à l’Assemblée) en fonction de leur stratégie politique. Certains groupes politiques comme le Rassemblement National profitent du sujet alors qu’il ne constitue pas un axe programmatique important mais dont les cibles politiques les intéressent, ici les agriculteurs.
- Les députés Renaissance voient mais ne parlent pas. Les revendications des acteurs agricoles ont bénéficié d’une visibilité importante auprès de la majorité présidentielle qui ne s’est toutefois pas mobilisée dans les différentes sphères du débat.
- Les fédérations professionnelles sont les meilleurs leviers d’influence auprès de l’Assemblée nationale, même si la présence d’acteurs de terrain au long terme paye également quelque peu.
Analyse réalisée par Solenn Udron-Lauret